Lidl souhaite proposer des produits plus premium sur son site, complémentaires à son offre en magasin.
Les raisons d’y croire
- En ligne, Lidl peut muscler son activité non alimentaire, un secteur très vecteur de trafic et de marge.
- L’enseigne étend ainsi sa zone de chalandise à toute la France.
- Sa stratégie de sortir du discount passe aussi par une modernisation de sa relation client. Après l’appli et la fidélité, l’e-commerce s’imposait.
Michel Biero aime bien sauter à la corde, entre deux rounds de négociations commerciales. Aussi, lorsqu’il s’agit de donner un exemple de produit vendu sur le site de Lidl, il propose celui-ci : « En magasin, vous trouverez une corde à sauter à 5,99 €, alors que sur le site, ce sera le top de la corde à sauter, en filament d’acier, vendue 14,99 €. » Blague à part, le lancement d’un site marchand est « historique » aux yeux du directeur exécutif des achats et du marketing de Lidl France. « Nous allons déployer une communication à 360 degrés, en télé, radio, presse, affichage et digital, pour soutenir ce lancement. Ce sera le budget le plus important de 2023. Imaginez : les Corses, qui n’ont pas accès à un magasin Lidl, pourront commander en ligne. » Précision d’importance : Lidl.fr, qui fait l’objet d’une communication via les prospectus depuis le 24 mai, et ouvrira officiellement à partir du 1er juin, se concentre sur une offre non alimentaire. Comme dans les sept autres pays où Lidl vend déjà en ligne : l’Allemagne, premier à s’y être mis (2008), mais aussi la Belgique, les Pays-Bas, l’Espagne, la République tchèque, la Slovaquie et la Pologne.
La France est donc le huitième pays à lancer son site marchand, quinze ans après sa naissance en Allemagne. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps, alors que l’Hexagone, dans lequel Lidl a ouvert son premier magasin en 1989, représente le marché le plus important après l’Allemagne ? Et que tous ses concurrents, de Carrefour à Auchan, d’E. Leclerc à Casino, de Monoprix à Intermarché, vendent depuis longtemps leur offre en ligne et proposent du drive ? Probablement parce que ce n’est pas dans la logique du discount. Son concurrent Aldi ne s’est d’ailleurs toujours pas converti. François Duranton, cofondateur et CEO du cabinet Ze Trace, spécialisé dans la transformation digitale et l’e-commerce, rappelle que « Lidl a fait partie des losers du Covid, faute de drive. L’enseigne a donc une stratégie défensive en matière d’e-commerce, sans ambition folle ».
Une base de clients déjà bien établie
Le moment est pourtant venu. « En France, nous aimons bien nous lancer lorsque les projets sont matures », argue Arnaud Girard, directeur de l’e-commerce de Lidl France. L’enseigne, elle, ne cesse de prendre de l’ampleur. En dix ans, Lidl a doublé sa part de marché, de 4 à 8 % selon Kantar Worldpanel, et s’installe régulièrement sur le podium des gagnants, à la faveur de l’inflation. En 2022, c’est même l’enseigne qui a le plus progressé avec un gain de 0,3 point. Faut-il faire un lien entre le choix de 2023 pour le lancement et le fait que Lidl ralentisse ses investissements immobiliers et ses ouvertures de magasins physiques en France ? Une quinzaine d’ouvertures sont en effet prévues, soit deux fois moins que les autres années. Le site prendrait alors le relais des magasins ? « Pas du tout, rétorque Michel Biero. La date avait été décidée bien avant. » Surtout, l’enseigne a attendu de voir les résultats de son programme de fidélité, Lidl Plus, lancé le 19 octobre 2021.
Les chiffres clés de Lidl France
7,9 % : la part de marché en 2022, à + 0,3 pt
Source : Kantar Worldpanel
15 Mrds € : le CA 2022, + 6 à + 7 % en comparable
Source : Lidl
Incontestablement, ce programme, qui propose des réductions diverses et variées ô combien importantes en cette période d’inflation galopante, est un succès : il a conquis 8,5 millions de porteurs. « C’est énorme, poursuit Michel Biero. Avec ce chiffre au bout d’un an et demi d’existence, la France fait mieux que les autres pays. Les clients encartés réalisent 40 % de notre chiffre d’affaires. » Ce succès lui permet d’avancer des objectifs ambitieux pour le futur site, qui devra se hisser, selon les projections de Lidl, « dans les 15 premiers sites français d’e-commerce ». Le site Lidl.fr, non marchand, draine déjà plus de 14 millions de visiteurs uniques chaque mois selon les chiffres de Médiamétrie. Au total, selon les calculs de la banque Barclays dans une note publiée en décembre dernier, Lidl Digital pèse 1,7 milliard d’euros, soit 1,3 % du chiffre d’affaires total de Lidl International (sans l’Allemagne).
Lidl a déjà plus de 14 millions de visiteurs uniques chaque mois à ce jour sans possibilité d’acheter sur notre site. On ne va pas dépasser Amazon, mais on vise le top 15 des e-commerçants français d’ici à quatre ans.
Michel Biero, directeur exécutif achats et marketing de Lidl France
Déjà une belle fréquentation
14,42 M : le nombre de visiteurs uniques par mois sur Lidl.fr, dont 1,9 M chaque jour , soit le 46e site le plus visité en France. À titre de comparaison, Carrefour (45e) compte 14,5 M de visiteurs uniques mensuels et 1,7 M chaque jour
Source : Médiamétrie, février 2023
1 000 à 5 000
1 000 références seront proposées sur le site et l’appli Lidl lors du lancement. Les équipes françaises visent 5 000 articles pour 2024
8,5 M d’inscrits au programme de fidélité 100 % digital Lidl Plus, sorti en octobre 2021 en France
+ de 10 % : la part du non-al dans le CA France de Lidl
Source : entreprise
En France, avant de faire le grand saut, des galops d’essai ont été lancés comme la vente de voyages, de vin ou encore de quelques produits de beauté, sous la houlette d’Arnaud Girard. « Cela nous a permis de mieux connaître notre base de clients. Nous les avons habitués à aller sur le site, à créer un profil… Nous n’avons pas à déployer de gestion de compte, juste à prévoir une brique de paiement en plus. » Avec cette possibilité d’acheter en ligne 1 000 produits dans un premier temps, puis 2 000 d’ici à deux à trois mois, et enfin 5 000 d’ici à février 2024, le parti pris de Lidl est clair : il ne s’agit pas de concurrencer frontalement l’offre des 1 591 magasins français, mais d’offrir une offre complémentaire à la soixantaine de références qui arrivent chaque lundi et jeudi dans les points de vente. Bien plus important en volume puisque l’assortiment offert sera multiplié par dix sur le site. Il sera aussi différent avec un positionnement plus premium. L’exemple de la corde à sauter vaut pour tout. Dans le bricolage, par exemple, la perceuse 12 volts vendue en magasin sera complétée par une perceuse 20 volts sur le site et d’autres accessoires plus pointus. Et le paddle simple vendu en magasin aura sa version en ligne, de qualité supérieure et plus onéreuse. De là à imaginer une place de marché ? « Ce n’est pas d’actualité », balaie Michel Biero, qui défend un assortiment vraiment « différent » de celui des autres pays européens déjà pourvus d’un site Lidl. François Duranton y voit une explication : « Les acteurs qui s’y lancent avec succès le font car ils ont une bonne dimension servicielle et sont pertinents sur la livraison. Ils peuvent donc se permettre de faire porter aux vendeurs tiers une partie de l’assortiment et des prix bas. Or, la promesse de Lidl et des autres distributeurs low cost, c’est avant tout les prix, et moins le service. »
Entrepôt aux Pays-Bas
Ce qui est sûr, c’est que les produits vendus en ligne, s’ils diffèrent selon les pays, sont achetés ensemble, essentiellement en Asie, mais aussi en Europe. Il faut bien massifier les achats pour faire baisser les prix. D’où le choix des Pays-Bas, la ville de Roosendaal précisément, comme base logistique pour la France. Situé à deux heures de Lille et quatre heures de Paris, cet entrepôt fonctionnera à 90 % pour la France, précisent les deux dirigeants de Lidl France. En aval, la livraison, assurée par des tiers, sera payante, les tarifs variant en fonction du volume des articles. Pas de retrait en magasin donc. En revanche, le client pourra s’assurer du stock en consultant le site, du moins pour les produits vendus dans les deux circuits, web et magasin. « Nous avons cherché à simplifier au maximum grâce à des pastilles simples et claires, indiquant où le produit peut être acheté…», explique Arnaud Girard.
In fine, le but est aussi d’attirer toujours plus de clients en magasin, des fidèles, mais aussi des nouveaux convertis. Dernier arrivé, Lidl va-t-il pousser Aldi et consorts à se mettre à la vente en ligne ? « Nous n’avons aucun test en cours », assure-t-on du côté d’Aldi Nord, qui chapeaute, entre autres, la France. En Espagne, cependant, depuis un an, Aldi Sud teste la vente en ligne de produits alimentaires avec le spécialiste de la livraison Glovo. Le discounter néerlandais Action s’est également lancé dans l’e-commerce en Belgique le 15 mai avec, lui aussi, une offre de produits plus chère sur le web que sur le carrelage. Il le fait a minima, sous forme d’un onglet qui renvoie à un site dédié et sans possibilité de retrait en magasin. À suivre.
Une offre seulement non alimentaire
- L’interface côté client reste inchangée, sur le site comme sur l’appli. Pour chaque produit, il est précisé s’il est présent en magasin (sans possibilité de click & collect) et/ou disponible à la livraison.
- Lidl ne propose à la vente que des produits non alimentaires. Il commercialise des offres variées, techniques, dans différents domaines (mobilier de jardin, bricolage, meubles, sport… ). 1 000 références environ seront disponibles lors du lancement officiel, le 1er juin.
- Une collection permanente et des « offres à court terme » animeront cet assortiment.
- Le prix de ces articles sera plus élevé que celui des 60 références non alimentaires présentes en magasin.
- Les clients pourront se faire livrer en point relais ou à domicile, ce service étant payant (de 4,99 € pour les petits colis à 44,99 € pour les gros envois nécessitant deux personnes et une livraison dans la pièce de son choix).
Un pilote issu de la promotion interne
Arnaud Girard dirige aujourd’hui le site d’une des plus grandes enseignes alimentaires de France. Et il incarne, comme on aime le dire dans la distribution, un modèle d’ascenseur social. Après des études d’ingénierie en physique et commercialisation, Arnaud Girard fait ses premières armes chez Lidl, en 2004, en tant que responsable des ventes. Deux ans plus tard, il passe à ce poste au niveau régional, dans l’Ouest. Il restera à cette fonction plus de onze ans. Le digital l’intéresse particulièrement, l’enseigne lui propose de chapeauter l’e-commerce de son enseigne en France. Quelques mois à peine après sa prise de fonction officielle, en janvier 2017, il pilote ainsi le lancement du site Lidl Voyages (2017) puis de Lidl Vins (2018). Deux beaux galops d’essai pour préparer l’appli Lidl et son programme de fidélité lié, sortis fin 2021. Et, aujourd’hui, le site e-commerce.
Sources : LSA – https://www.lsa-conso.fr/lidl-france-se-met-enfin-a-l-e-commerce,437559